« Pas Nigérien », le président Bazoum ? Une rhétorique inflammable dans un Sahel en guerre

Le Premier ministre par intérim du Mali, Abdoulaye Maïga, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le 24 septembre 2022 à New York

En affirmant fin septembre à la tribune de l’ONU que Mohamed Bazoum n’était « pas Nigérien », le Premier ministre malien a illustré une nouvelle fois les divisions profondes qui opposent certains dirigeants du Sahel, sur fond d’attaques jihadistes et de montée des communautarismes.

Le discours d’Abdoulaye Maïga était un « moment de surenchère par rapport aux mauvaises relations que le Mali a avec un certain nombre de ses partenaires », dont le chef de l’Etat nigérien, estime ainsi Seidik Abba, journaliste nigérien et analyste politique.

Le Mali est sous le coup de sanctions régionales depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire. L’Union africaine (UA) et la Cédéao l’ont suspendu une première fois après le putsch de 2020, puis à nouveau après un second coup de force renforçant la mainmise des colonels en mai 2021. Les tensions se sont quelque peu atténuées avec la levée de certaines mesures financières et commerciales particulièrement sévères, quand ces derniers se sont engagés sous la pression à organiser des élections en février 2024.

Mais « la junte estime que le Niger était en première ligne de la dénonciation de son pouvoir, et impute aux Nigériens d’avoir pris une part trop importante dans les sanctions infligées », ajoute Seidik Abba.

M. Bazoum a en effet critiqué ouvertement et à plusieurs reprises les colonels maliens, comme en 2021, quand il estimait qu' »il ne faut pas permettre que les militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires sur le front où ils devraient être ». « Qui va faire la guerre à leur place ? », demandait-il en référence à la lutte contre le jihadisme dans la région.

– « Elan populiste » –

La polémique sur les « origines nigériennes » du président est toutefois loin d’être nouvelle, et avait notamment agité la classe politique avant la dernière présidentielle de 2020 au Niger. 

En pleine campagne électorale, plusieurs requêtes avaient été déposées devant la Cour constitutionnelle au motif que M. Bazoum, dauphin désigné du chef de l’Etat sortant Mahamadou Issoufou, était « inéligible » à la fonction suprême.

Dans deux arrêts rendus les 8 et 17 décembre 2020, la plus haute juridiction du pays – dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours – avait débouté les opposants qui s’appuyaient notamment sur l’existence de deux certificats de nationalité différents.

La cour a définitivement clos le débat juridique en concluant qu' »aucun semblant de fraude (…) n’a été décelé », même si certains, comme Omar Hamidou Tchiana, qui fut plusieurs fois ministre sous la présidence d’Issoufou (2011-2021) avant de rejoindre l’opposition, maintiennent que la preuve de la nationalité de M. Bazoum n’a pas été fournie à ce jour.

Pour Amadou Boubacar Hassane, coordonnateur de l’Association des constitutionnalistes du Niger, toutes ces polémiques relèvent avant tout d’un « élan populiste » qui vise à « influencer » l’opinion publique, mais qui n’a « pas prospéré ».

Au Niger, l’ascendance de M. Bazoum est connue de tous et même affichée par l’intéressé, notamment dans un entretien accordé en 2019 au quotidien burkinabè Wakat Sera, où il rappelait que son arrière-grand-père était arrivé « dans les années 1840 ». Le chef de l’Etat appartient en effet à la tribu arabe des Ouled Slimane issue du Fezzan, région du sud-ouest de la Libye voisine, mais également présente au Tchad et au Niger.

« Avant son élection à la tête de l’Etat, M. Bazoum a occupé de hautes fonctions politiques (député national, ministre): ce débat n’a pas sa place au Niger », estime Amadou Boubacar Hassane. 

Ces attaques sont « totalement racistes », renchérit Kalla Moutari, ancien ministre et membre fondateur du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir).

– « Exemple d’intégration » –

En Afrique de l’Ouest, l’instrumentalisation des communautarismes à des fins politiques a déjà eu de lourdes conséquences par le passé. Le concept d' »ivoirité » pour éliminer Alassane Ouattara – accusé d’être Burkinabè – de la course à la présidentielle fut par exemple l’un des ferments de la crise politico-militaire qui a ensanglanté la Côte d’Ivoire dans les années 2000.

Ces même considérations attisent bien souvent les conflits locaux au Sahel, où certaines populations comme les éleveurs peuls nomades, qui circulent d’un pays à l’autre avec leurs troupeaux, sont associées aux jihadistes et deviennent la cible de milices dites d’autodéfense constituées sur la base de l’appartenance ethnique.

Les propos du Premier ministre malien par intérim ont en tout cas suscité l’indignation au Niger, où l’Assemblée nationale a notamment condamné l’expression d’un « mépris » envers « tous les Nigériens ».

Une réaction d’autant plus vive que « le Niger est un exemple d’intégration et de stabilité » dans une région secouée par les rébellions armées, les exactions de groupes jihadistes et les coups d’Etat à répétition, décrypte pour l’AFP Ahmedou Ould Abdallah, ex-ministre mauritanien des Affaires Etrangères et ancien haut fonctionnaire des Nations unies.

Cet expert rappelle que l’ex-président nigérien Mahamadou Issoufou, appartenant à l’ethnie haoussa, avait nommé en 2011 un Premier ministre touareg, Brigi Rafini. « Cette politique d’effort menée depuis dix ans par Issoufou et son successeur Bazoum sont les modèles à suivre pour gérer les crises », estime-t-il.

A l’inverse, le Mali est souvent critiqué pour n’avoir pas su juguler les velléités séparatistes touareg apparues dès les années 90 dans le nord du pays, laissant s’y installer une instabilité durable dont vont ensuite profiter les groupes jihadistes. Ces mouvements, aujourd’hui affiliés au groupe Etat islamique (EI) et à Al-Qaïda, ont étendu ces dernières années leurs attaques aux pays voisins, Niger et Burkina Faso en tête, faisant des milliers de morts et des millions de déplacés.

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AFP