Tout comprendre à l’accord historique sur la frontière maritime entre le Liban et Israël

Le président libanais Michel Aoun rencontre le Premier ministre Najib Mikati, après la signature de l’accord sur la frontière maritime avec Israël.

Le Liban et Israël ont annoncé être parvenus à un accord « historique » réglant leur différend frontalier maritime, par le biais d’une longue médiation américaine et française.

Deux jours après Israël, le Liban a annoncé, jeudi 13 octobre, approuver l’accord de démarcation de la frontière maritime entre les deux pays. Le texte prévoit notamment de lever les obstacles à l’exploitation de gisements gaziers en Méditerranée orientale, dans un contexte où prix du gaz explose et l’Europe cherche de nouveaux approvisionnements.

  • Les faits : un accord délimite les eaux riches en ressources gazières

Israël et le Liban, deux pays toujours officiellement en guerre, ont « conclu un accord historique » sur la délimitation de leur frontière maritime, alors même que leur frontière terrestre fait toujours l’objet d’un contentieux. Il doit lever les obstacles à l’extraction d’hydrocarbures en Méditerranée orientale. Le texte, désormais adopté par les deux pays, a été élaboré sous une médiation américaine ainsi que française. Le texte final de l’accord a été soumis au Liban et à Israël par le médiateur américain, Amos Hochstein, en début de semaine. Il stipule qu’il « établit une résolution permanente et équitable de leur différend maritime », selon une copie obtenue par l’Agence France Presse.

Le Liban récupère ainsi tous les droits d’exploration et d’exploitation du gisement gazier de Cana, dont une partie se situe dans les eaux territoriales d’Israël. Mais « Israël sera rémunéré » par la firme exploitant Cana « pour ses droits sur d’éventuels gisements », selon le texte de l’accord.

La rémunération d’Israël sera déterminée lors de pourparlers séparés entre l’Etat hébreu et le consortium de sociétés chargé de l’exploration et de l’exploitation dans la zone libanaise – dont le français TotalEnergies fait partie. De son côté l’Etat hébreu hérite pleinement du gisement offshore de Karish, situé au sud-ouest, et devrait pouvoir commencer à l’exploiter d’ici peu de temps.

Vidéo associée : Israël annonce « un accord historique » avec le Liban sur leur frontière maritime

Mardi soir, le président américain Joe Biden a salué une « avancée historique » sous l’égide de Washington. Dans un communiqué de presse, l’Elysée annonce par ailleurs qu’Emmanuel Macron a échangé par téléphone avec le Premier ministre israélien, le président de la République du Liban et le Premier ministre libanais, ce samedi 15 octobre 2022. « Il s’agit indéniablement d’un pas important vers plus de paix pour Israël, pour le Liban et l’ensemble des pays et des peuples de la région.

Il contribuera à la stabilité du Proche-Orient et à la sécurité d’Israël et du Liban », dit le texte. « Le président Macron a joué un rôle clé dans ce qui sera un accord historique entre Israël et le Liban. La France mérite une immense reconnaissance pour sa contribution importante », juge un haut officiel israélien auprès du journal Le Monde.

  • Pourquoi c’est important : une frontière pacifiée et des retombées économiques

Après l’entrée en vigueur de l’accord, le Liban et Israël déposeront les coordonnées géographiques de la frontière maritime auprès des Nations Unies, ce qui annulera les tracés adoptés par les deux pays en 2011. Bien que limité au tracé maritime, ce texte serait l’amorce d’un tournant dans les relations entre les deux pays.

« Cet accord historique va renforcer la sécurité d’Israël, injecter des milliards dans l’économie israélienne et assurer la stabilité de notre frontière nord, avec le Liban », a ajouté sur Twitter le Premier ministre israélien, Yaïr Lapid. Plus mesuré, le président libanais Michel Aoun a salué un texte qui « répond aux exigences du Liban et préserve son droit à ses richesses naturelles », disant espérer que l’accord serait « annoncé au plus tôt ».

Une étude sismique réalisée en 2012 sur une zone offshore limitée par la société britannique Spectrum a estimé les réserves de gaz récupérables au Liban à environ 720 milliards de mètres cubes. Selon la modélisation financière de la Lebanese Oil & Gas Initiative (LOGI), une ONG indépendante, « le scénario le plus positif » serait la découverte de réserves de gaz à Cana à hauteur de 453 milliards de mètres cubes.

Dans ce cas, « les bénéfices du Liban seront d’environ 6 milliards de dollars sur 15 ans », a déclaré Diana Kaissy, membre du conseil consultatif de la LOGI. Une rente qui serait bienvenue pour le Liban, plongé dans une crise économique sans précédent depuis près de deux ans.

En outre, cet accord donne de l’espoir pour que les tensions, encore vives, s’apaisent à la frontière libano-israélienne terrestre. « Cet accord éloigne la possibilité d’affrontements armés avec le Hezbollah. Israël n’a pas peur du Hezbollah (…) mais s’il est possible d’éviter une guerre, c’est la responsabilité du gouvernement de le faire », a soutenu Yaïr Lapid lors d’une conférence de presse à Jérusalem.

« C’est la première fois qu’on signe un accord sur une frontière qui a des retombées économiques pour les deux pays, et apporte à la fois sécurité et stabilité économique », commente Elias Bou Saab, le vice-président du Parlement et principal négociateur libanais auprès du Monde. « Dès qu’il sera acté, nous aurons une frontière bien plus pacifiée », ajoute-t-il.

  • Le contexte : une décennie de négociations infructueuses

Après plus d’une décennie de négociations infructueuses et de tensions, les pourparlers avaient repris en 2020, sous médiation américaine. Il y a encore quelques semaines, les échanges entre les deux parties étaient menaçants. En juin, Beyrouth avait mis en garde l’Etat hébreu contre « toute action agressive et provocatrice » dans les eaux contestées.

En réponse, Israël avait assuré que la plate-forme Energean Power « n’extrairait pas de gaz dans la zone contestée », mais s’était dit « prêt à défendre ses atouts stratégiques », tandis que le chef de l’armée a menacé le Liban de « bombardements sans précédent » en cas d’attaque du Hezbollah.

Depuis le début de la semaine, et l’annonce de cet accord, les oppositions de chaque pays l’ont plutôt soutenu. Au Liban, l’effondrement continu de l’économie a eu raison des réticences, notamment du président du Parlement, Nabih Berri, partie prenante aux négociations.

Le Hezbollah a lui aussi donné son feu vert. Son chef, Hassan Nasrallah, a affirmé mardi que le Parti de Dieu soutiendrait l’accord approuvé par le gouvernement libanais.