Pour endiguer l’exportation illégale de l’or, le Niger suspend les permis miniers dans le pays

Des chercheurs d’or au nord du Niger, en mai 2016.
© Fournis par Le Monde

Cet « arrêt temporaire » doit officiellement permettre de faire un état des lieux des exploitations aurifères, principalement informelles, et d’inciter les orpailleurs artisanaux à se déclarer.

La cargaison pouvait difficilement passer inaperçue. Près de 1 400 kg de lingots d’or, d’une valeur estimée à plus de 60 milliards de francs CFA (91,4 millions d’euros), ont été saisis début janvier à l’aéroport d’Addis-Abeba, en Ethiopie, alors qu’ils transitaient sans aucun document officiel du Niger vers les Emirats arabes unis.

Rendue publique par l’ONG Transparency International, l’affaire a été confiée à la police judiciaire nigérienne. « Les personnes impliquées dans ce trafic vont être identifiées et, en cas de besoin, seront traduites devant les autorités judiciaires », a promis, jeudi 25 janvier, le ministre de la justice, Alio Daouda.

Mais l’enquête s’annonce ardue au vu de « l’ampleur des pratiques corruptives dans la chaîne de gestion des autorisations d’exploitation et de commercialisation des ressources aurifères », souligne l’Association nigérienne de lutte contre la corruption. Selon cette dernière, l’exportation de l’or aurait été rendue possible grâce à la complicité d’agents de sécurité à l’aéroport de Niamey. Depuis, quatre-vingt-deux agents des douanes, de la police, de la gendarmerie, et des eaux et forêts ont été relevés de leurs fonctions ou affectés à d’autres postes le temps de l’enquête.

Ces détournements ne sont pas nouveaux, comme le révèlent les données sur les envois d’or à destination de Dubaï compilées par Transparency International Niger. En 2020, par exemple, « les exportations réelles d’or ont atteint jusqu’à 34,26 tonnes pour une valeur totale de 1 743,5 millions dollars américains, tandis que seulement 18,2 tonnes ont été déclarées au ministère des mines au cours de la même année », pointe l’ONG. Des fraudes « facilitées par l’effritement des frontières avec l’Algérie et la Libye », rappelle André Bourgeot, ancien anthropologue spécialiste du Sahel au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Des pertes considérables pour l’Etat

Cinq jours après les annonces de Transparency International Niger, le ministère des mines a fait savoir qu’il suspendait l’octroi des titres miniers et les derniers permis accordés. Cet « arrêt temporaire » doit officiellement permettre de faire un état des lieux des exploitations aurifères, principalement informelles, et d’inciter les orpailleurs artisanaux à se déclarer pour « repartir sur de nouvelles bases », explique Yaou Fatimata Korgom, la secrétaire générale adjointe du ministère des mines. « La plupart des sites d’orpaillage n’ont pas d’autorisation du ministère. (…) Si l’orpaillage est encadré, c’est une activité sur laquelle le pays et l’économie [pourront] compter », ajoute la fonctionnaire.

Jusqu’ici, les pertes pour l’Etat sont considérables. Bien que le secteur se développe à l’instar de la mine de Samira, exploitée par la Société des mines de Liptako détenue par l’Etat, la production industrielle représente moins de 20 % des exportations. De plus, la capacité de production du site de Samira, estimée à trois tonnes d’or par an, est aujourd’hui perturbée par l’insécurité « conduisant à une baisse drastique de la production » à seulement une tonne, selon l’ancienne ministre des mines, Ousseini Hadizatou Yacouba.

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La régulation par l’Etat de l’exploitation de l’or est aussi envisagée comme un outil de la lutte contre le banditisme et le terrorisme. La ruée vers l’or, commencée en 2014 au Niger, a conduit au déplacement de milliers de personnes vers le plateau du Djado et dans le massif de l’Aïr, où la présence de l’Etat est très limitée. « Les vides de pouvoir dans ces localités ont créé des cas d’anarchie qui profitent particulièrement aux groupes armés non étatiques. Ces acteurs trouvent souvent des moyens d’instrumentaliser le mécontentement des membres des communautés » , relevait the Nordic Africa institute, un centre de recherche, en 2021.

L’activité, génératrice d’insécurité, continue néanmoins d’attirer les près de 300 000 jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année et que l’économie formelle ne peut absorber. Ainsi, malgré ces défaillances, le secteur de l’or représentait 54 % des exportations du pays et faisait vivre plus de 800 000 foyers nigériens.

Article de Sophie Eyegue