L’édito de l’After: Hervé Renard, par l’odeur alléché

Hervé Renard en visite en Côte d’Ivoire pendant la CAN, le 24 janvier 2024
© Icon Sport

Le quotidien du football est un éternel émerveillement. Quand jeudi dernier, au détour d’une conversation, on apprend qu’Hervé Renard, coach de la sélection féminine française, avait demandé à exercer quelques jours son métier sur le banc d’une fédération concurrente (Côte d’Ivoire masculine), les bras se sont allongés jusqu’à tomber sur le sol.

L’appel divin avait pris une forme téléphonique: « quand vous avez le président de la Fédération, le Premier ministre du pays qui vous le demandent, je n’avais pas le droit de dire non », expliquera ensuite le prophète. Comme Moïse face au buisson ardent, Renard était en communication directe avec l’au-delà (de Clairefontaine).

Apparemment, il fallait s’en féliciter. Tout ce qui sera ensuite révélé au sujet cette étrange tractation — céder l’un de ses employés à une Nation en pleine compétition — a rang depuis ce jour de mystère biblique.

Le plus étonnant n’est même pas la nature folklorique de cette proposition. A première vue, elle fait même plutôt sourire l’observateur. Et pour cause. Le bon sens murmure naturellement à l’oreille la réponse évidente: « non, évidemment, on ne prête pas son sélectionneur en exercice. »

Ou alors faisons la même chose avec un ministre de l’éducation, un chef d’Etat-Major, un directeur d’administration ou un Premier ministre en poste. En matière régalienne, on ne plaisante avec les prérogatives et le sens politique, sur ce point, est formel: c’est une proposition absurde et dangereuse pour l’équilibre de l’administration qui s’y soumettrait. Jean-Michel Aulas, chef du football féminin, en a même été d’abord convaincu « spontanément, j’ai craint que de prêter le sélectionneur à un autre pays donne une étrange image. » Aulas s’est ensuite souvenu de la leçon de Talleyrand « méfiez-vous de votre premier mouvement: c’est le bon. »

L’image du football féminin

Car au diable la méfiance, on est ici au pays des flatteurs. Jean-Michel a réfléchi et fini par envoyer promener tous les coincés « je conçois que certains, habitués à ce que le foot féminin passe après, aient pu imaginer que ce n’était pas une bonne chose.

En fait, c’était très valorisant pour Hervé et pour nous. » D’où vient cet étrange retournement? Qui est ce « nous » dont parle le grand leader? S’agit-il des 200.000 licenciées de la fédération française? Des joueuses des équipes féminines? Des fédérations africaines? Quand les mêmes arguments (« l’image du football féminin ») servent en même temps à défendre une thèse (ne pas le prêter) et son contraire (le prêter) c’est que le langage ne sert plus à grand chose et que le sophisme est de sortie.

Deux idées contradictoires ne peuvent pas être vraies en même temps.

Posons les choses franchement: prêter un sélectionneur à une ancienne colonie française pour « l’aider » dans une passe difficile, est-ce un signe d’amitié ou de défiance?

Deuxième interrogation: pourquoi cette idée serait à la fois géniale pour le football féminin mais impensable pour le football masculin?

Troisième interrogation: comment se fait-il qu’un sélectionneur en poste se sente obligé de répondre favorablement à l’appel d’un chef de gouvernement étranger en pleine compétition? Politiquement, c’est impardonnable. Et pourtant, cette position a bien été défendue pendant une après-midi entière.

Tout un fromage

Au fond, ce qui frappe dans cette affaire, c’est la déconnexion complète entre la responsabilité qui a été confiée (mener la sélection nationale féminine aux JO de Paris) et la légèreté avec laquelle une tentative de débauchage intempestif (et provisoire) d’un gouvernement étranger a été validée. Que les choses soient très claires.

N’importe quelle fédération est fondée à vouloir débaucher un employé d’une autre fédération si elle le trouve compétent. C’est le jeu du marché, admettons. La requête ivoirienne, quoiqu’hétérodoxe, n’est pas la plus inhabituelle.

Ce qui est en revanche beaucoup plus étonnant, voire inquiétant, c’est le pouvoir aveuglant de la flatterie sur un employé destiné à mener un groupe vers des objectifs élevés. Rappelons qu’en juin 2018, Julen Lopetegui est débarqué par son président de la Fédération à quelques jours d’un mondial pour avoir eu le tort de signer un contrat l’engageant avec le Real Madrid à la fin de la compétition.

On peut discuter de la brutalité de la décision, assez peu de son fondement. Il était question de défendre l’autorité d’une fédération et l’exemplarité du comportement d’un sélectionneur qui, de toute évidence, n’avait plus envie d’être là. « J’aurais adoré mais le destin en a choisi autrement. » se justifie maintenant maître Renard. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.

Cette leçon aurait mieux valu un fromage sans doute.