La France amorce une baisse drastique de ses effectifs militaires dans ses bases d’Afrique de l’Ouest

Sur la base militaire de Port-Bouët, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le 19 décembre 2019.
© Fournis par Le Monde

Le départ de plusieurs centaines de soldats est planifié dans les mois à venir au Gabon, au Sénégal et surtout en Côte d’Ivoire. Paris et Washington pourraient par ailleurs renforcer leur coopération dans la région.

Au terme d’âpres discussions, le chef de l’Etat a fini par se prononcer sur l’avenir des trois bases françaises installées sur les côtes d’Afrique de l’Ouest. Alors que les armées étaient suspendues, depuis de longs mois, aux arbitrages de l’Elysée, Emmanuel Macron a, selon nos informations, décidé une réduction drastique des effectifs militaires au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, lors d’un conseil de défense, qui s’est tenu mi-décembre 2023.

A ce stade, le nombre précis de soldats français devant être maintenus dans ces bases de Libreville (Gabon), de Dakar (Sénégal), et d’Abidjan (Côte d’Ivoire) n’est pas gravé dans le marbre. Mais, à l’état-major de l’armée de terre, principal concerné par ces baisses d’effectif, la réduction envisagée est dans tous les cas importante : seule une centaine de postes, principalement dévolus aux fonctions de soutien, seront conservés de façon permanente dans chacune des trois villes, selon le scénario maximaliste envisagé.

Pour les bases de Libreville et de Dakar, qui accueillaient, ces derniers mois encore, officiellement, 350 militaires chacune, et pour Abidjan, nœud logistique de la France pour ses opérations au Sahel, qui hébergeait environ 950 soldats, cette baisse des effectifs s’annonce comme un tournant. Le chef de l’Etat n’a cependant pas décidé leur fermeture – un temps envisagée. A l’inverse, la présence française à Djibouti et au Tchad (1 500 soldats à chaque fois) demeure inchangée.

« On aimerait aller vite »

« Il n’y a pas de changement d’axe », tempère-t-on à l’Elysée, en rappelant que le principe de baisse de la présence militaire française en Afrique est sur les rails depuis février 2023, lorsque le président en avait fait l’annonce, à la veille d’une tournée sur le continent. « Mais il y a des facteurs qui amènent à avancer, ajoute-t-on. Nous voulons sortir d’un modèle où nous étions très présents dans les capitales pour une empreinte beaucoup plus réduite. »

Le coup d’Etat au Niger, en juillet 2023, a joué un rôle déterminant dans cette restructuration. Le retrait forcé, sous la pression des putschistes, s’est achevé fin décembre. Après ceux au Mali et au Burkina Faso. Et désormais, à l’Elysée comme au sein des états-majors, on se dit assez pressé d’avancer. « On aimerait aller vite », soutient-on à la présidence de la République, tout en précisant que les « modalités » sont à discuter avec les pays partenaires.

Le projet, explique-t-on à l’état-major de l’armée de terre, est de limiter les affectations de militaires avec leur famille, qui entretenaient l’image d’une France en vase clos, afin de parvenir à des bases envisagées comme de simples « conciergeries ». En clair, des emprises à la visibilité limitée, mais dont il demeurera possible de faire varier les effectifs pour des missions ponctuelles, avec des « principes d’allers-retours en fonction des besoins des partenaires (…) qui ont chacun leur spécificité », précise-t-on à l’Elysée.

Paris réfléchit à la nomination d’un représentant spécial

Un discret dégraissage a démarré ces derniers mois dans la plupart de ces bases. Mais celui-ci devrait s’accélérer au cours de l’année. Reste à s’assurer du soutien du Gabon, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Dakar attend avec incertitude l’élection présidentielle, le 25 février, et le nom du successeur de Macky Sall. Le Gabon et la Côte d’Ivoire n’ont, jusqu’à présent, porté aucun commentaire sur cette réorientation de la politique française.

Pour les convaincre et soutenir l’adaptation du dispositif français sur le continent, Paris réfléchit à la nomination d’un représentant spécial, a appris Le Monde. Le nom de Jean-Marie Bockel est sérieusement envisagé.

L’ancien maire de Mulhouse a été le bref secrétaire d’Etat à la coopération de Nicolas Sarkozy (juin 2007-mars 2008), avant d’être relégué au portefeuille des anciens combattants. Il lui avait été alors prêté d’avoir trop réclamé « l’acte de décès de la “Françafrique” ». M. Bockel présente aussi la particularité d’avoir perdu l’un de ses fils, en 2019, dans un accident d’hélicoptère, dans le cadre de l’opération « Barkhane ».

La réduction des effectifs français va de pair avec les réflexions des Etats-Unis sur l’adaptation de leur propre dispositif sécuritaire sur le continent. Depuis le coup d’Etat au Niger, les Américains sont fragilisés eux aussi.

Le pays abritait plusieurs de leurs bases majeures en Afrique, et des réflexions ont lieu à Washington pour redéployer des effectifs, notamment sur la côte ouest africaine, où le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a effectué une visite du 22 au 26 janvier.

Ces démarches laissent la porte ouverte à de nouveaux projets de bases communes entre Français et Américains en Afrique, comme cela était notamment le cas à Niamey, au Niger, jusqu’au coup d’Etat. Malgré les échecs endurés, Paris et Washington considèrent que la lutte contre le terrorisme demeure un enjeu majeur. « Il y a des réflexions, sur la base de nos intérêts », confirme-t-on à l’Elysée.