Tout comprendre à la crise qui secoue la Cedeao avec les départs du Burkina, du Mali et du Niger

Une manifestation contre la Cedeao, à Bamako au Mali le 14 janvier 2022.
© FLORENT VERGNES

Afrique de l’OUEST – Dirigés par des militaires, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé le retrait « sans délai » de leur pays de la Cedeao

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest est ébranlée. Les régimes militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont en effet décidé de retirer leur pays, « sans délai », de la Cedeao, ont-ils annoncé dimanche dans un communiqué conjoint.

Lundi, le Mali et le Burkina Faso ont envoyé à l’organisation sous-régionale de 15 membres une « notification formelle » de leur retrait. Aucune information n’a été publiée pour le moment côté nigérien. Avec ce choix, les juntes prennent le risque de compromettre la libre circulation et repoussent le retour des civils au pouvoir.

Un bras de fer depuis les coups d’Etat

La Cedeao s’est opposée aux coups d’État ayant successivement porté au pouvoir les militaires dans ces trois pays, imposant de lourdes sanctions économiques au Niger et au Mali. En août, elle est allée jusqu’à menacer d’intervenir militairement au Niger pour y rétablir l’ordre constitutionnel et libérer le président Mohamed Bazoum renversé.

Le dialogue est pratiquement rompu entre l’organisation et les régimes de Bamako, Ouagadougou et Niamey, qui ont créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et accusent leurs voisins d’agir sous l’influence de « puissances étrangères », en premier lieu la France, ancienne puissance coloniale dans la région.

Le retour au pouvoir des civils compromis

Des élections étaient en théorie prévues au Mali et au Burkina Faso en 2024, censées assurer le retour à un gouvernement civil, préalable exigé par la Cedeao pour lever ses sanctions et rétablir ces pays dans ses instances décisionnelles. Mais les partisans des régimes militaires souhaitent allonger la durée des transitions, invoquant la lutte antidjihadiste.

La Cedeao garantit aux citoyens des pays membres de pouvoir voyager sans visa et de s’établir dans les pays membres pour y travailler ou y résider. Ces retraits suscitent donc l’inquiétude de centaines de milliers de ressortissants de ces pays, particuliers ou commerçants.

Les trois pays enclavés du Sahel et leurs principaux partenaires économiques côtiers comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont toutefois membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA, 8 pays), qui garantit elle aussi en principe la « liberté de circulation et de résidence » pour les ressortissants ouest-africains, ainsi que le dédouanement de certains produits et l’harmonisation des tarifs et des normes, à l’instar de la Cedeao.

Les conséquences d’un retrait pourraient par contre être plus marquées aux frontières du Niger et du Nigeria, pays n’appartenant pas à l’UEMOA. Le géant économique d’Afrique de l’Ouest représente plus de la moitié du PIB de la Cedeao et est le premier partenaire économique du Niger dans la région. Les 1.500 km de frontière qui séparent les deux Etats sont toutefois mal contrôlés et en proie aux attaques des groupes armés. Une part importante des flux échappent ainsi aux contrôles douaniers.

Un préavis non respecté

Un point juridique pose par contre question. Les textes de la Cedeao prévoient qu’une demande doit être déposée par écrit un an avant. « Ces Etats devront trouver une forme d’entente et des négociations iront dans le sens de trouver les moyens de faire ce retrait de manière progressive », estime Fahiraman Rodrigue Koné, spécialiste du Sahel à l’Institut des études de sécurité (ISS).

Alors que les groupes djihadistes progressent au Sahel et jusqu’aux marges des Etats côtiers, « la région se fragmente, devient objet de concurrence géostratégique plus forte, et cela n’est pas une bonne nouvelle pour la stabilité », avertit en outre le chercheur.

Surtout, les vives critiques formulées par ces régimes et leurs partisans à l’encontre du franc CFA, la monnaie commune des pays membres de l’UEMOA, pourraient également conduire les pays de l’AES à quitter cette organisation, et à renoncer à la libre circulation des biens et des personnes en attendant l’émergence d’une zone de libre-échange continentale africaine, encore à l’état de projet.