Procès d’un trafic de cocaïne en Côte d’Ivoire : dix ans de prison ferme requis contre treize prévenus

Article de Marine Jeannin • 4 min de lecture

Des policiers de la Direction de la police chargée des stupéfiants et des drogues (DPSD) effectuent des perquisitions sur un marché à Adjamé, une commune d’Abidjan, en septembre 2023.
© Fournis par Le Monde

Dix-neuf accusés sont jugés, depuis trois mois, à Abidjan, suite au démantèlement en 2022 d’un vaste réseau de narcotrafiquants. Lundi, l’avocat de l’Etat, constitué partie civile, et le parquet d’Abidjan ont plaidé.

Après trois mois de feuilleton judiciaire, le procès du vaste trafic international de cocaïne orchestré entre les villes côtières de San Pedro et Abidjan, dans lequel dix-neuf accusés et quatre sociétés sont mis en cause, approche de sa conclusion. Lundi 15 avril, l’avocat de l’Etat de Côte d’Ivoire, constitué partie civile, a donné ses conclusions, suivi du parquet du pôle pénal économique et financier d’Abidjan qui a requis dix ans de prison ferme contre treize prévenus.

« Le vin et les femmes te perdront ». Pour l’ouverture de sa plaidoirie, Me Abdoulaye Ben Meite, représentant l’Etat de Côte d’Ivoire, a choisi un passage de l’Ancien Testament, car c’est « à la faveur d’une bagarre survenue dans un appartement sis à Koumassi [commune d’Abidjan] et ayant donné lieu à des coups et blessures portés par Gustavo Alberto Valencia Sepulveda [l’un des principaux accusés] sur une fille de joie consécutivement à leur mésentente sur les modalités de désintéressement de cette dernière en contrepartie des rapports charnels entretenus », que l’affaire a commencé.

Prévenue par la victime, la police ivoirienne a perquisitionné le 15 avril 2022 la villa où résidait M. Valencia Sepulveda et trouvé les premiers blocs de la saisie record de trois tonnes de cocaïne pour laquelle comparaissent les dix-neuf accusés.

60 milliards de francs CFA réclamés au « cerveau » du trafic

La « fille de joie » mentionnée par Me Abdoulaye Ben Meite s’appelle Mariam S*. Elle aurait dû être présente, elle aussi, sur le banc des parties civiles, les coups que M. Sepulveda Valencia lui avait portés au visage lui ayant valu trente jours d’interruption totale de travail. Il a fallu attendre l’audience précédente, le 11 mars, pour que la présidente de la cour s’enquiert de son absence. Et apprenne, en même temps que l’audience, la mort de Mme Sacko en octobre 2023, sans que les causes n’en soient dévoilées. La famille de la victime n’étant pas représentée, l’Etat de Côte d’Ivoire était la seule partie civile au procès.

Des dix-neuf personnes physiques accusées, Me Abdoulaye Ben Meite a distingué d’abord Miguel Angel Devesa Mera, « le chef d’un réseau bien ficelé de trafiquants de drogue établi en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années et opérant de façon transnationale ». Ce dernier a toutefois « collaboré sans aucune réserve pour la manifestation de la vérité », a salué l’avocat, et a délivré « d’invariables déclarations » dotées de « force détails », accablantes pour onze de ses coaccusés.

La partie civile réclame donc à Miguel Angel Devesa Mera la somme de 60 milliards de francs CFA (quelque 90 millions d’euros), et le paiement « solidaire » de 10 milliards de francs CFA (environ 15 millions d’euros) à quatre de ses bras droits – Gustavo Alberto Valencia Sepulveda, Aitor Picabea, Jose Maria Cadabal Muniz et Perez Garcia Helbert – et sa société écran, Kibor Africa.

Parmi les dix-neuf accusés en jugement, seul l’ancien commandant de la section de lutte antidrogue de San Pedro, Lamand Bakayoko, devrait pouvoir être disculpé, Miguel Angel Devesa Mera l’ayant blanchi dans sa déposition et le parquet ayant demandé sa relaxe. Tous les autres ont été déclarés coupable par le parquet. Les charges de trafic international de drogue et d’association de malfaiteurs sont retenues pour quatorze d’entre eux.

Les biens des coupables saisis au profit de l’Etat

Curieusement, le ministère public a requis la même peine pour treize prévenus : dix ans de prison ferme et 100 millions de francs CFA d’amende (quelque 150 000 euros). Le cerveau présumé du réseau, Miguel Angel Devesa Mera, qui a reconnu toutes les charges qui lui étaient imputées, et son bras droit Gustavo Alberto Valencia Sepulveda, que le parquet juge coupable de « coups et blessures volontaires », se voient donc exposés à la même sentence que le cuisinier de Pasta e Pizza, contre lequel aucun fait compromettant n’a été établi.

Pour les autres, les sentences devraient être plus légères. Le parquet a requis cinq ans de prison ferme et 50 millions de francs CFA d’amende (environ 76 millions d’euros) pour Marcelle Akpoué, l’une des associées de Kibor Africa, et trente-six mois de prison ferme et 10 millions de francs CFA d’amende (quelque 15 000 euros) pour Yannick Agrey Dago, directeur régional de la Compagnie ivoirienne d’électricité, qui aurait aidé Miguel Angel Devesa Mera à se procurer une maison à San Pedro. Dans les deux cas, le ministère public a retenu la charge de complicité de trafic de drogue.

Quant aux hommes d’affaires qui comparaissaient pour fraude fiscale, le parquet a requis contre eux vingt-quatre mois de prison ferme et 30 millions de francs CFA d’amende (environ 45 000 euros), auxquels s’ajoutent 30 millions de francs CFA d’amende supplémentaire pour les sociétés. Tous les biens des coupables de trafic de drogue, a conclu la procureure de la République, devront être saisis au profit de l’Etat de Côte d’Ivoire.

Le Monde