Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam à la conquête de l’Ouest

Le président du PDCI, Tidjane Thiam, lors d’un congrès extraordinaire du parti, à Yamoussoukro, le 23 décembre 2023.
© Fournis par Le Monde

Le successeur d’Henri Konan Bédié à la tête du PDCI juge nécessaire d’attirer les habitants des régions occidentales vers les listes électorales pour remédier au « problème de crédibilité » des scrutins… et accéder à la présidence en 2025 ?

L’euphorie ne dure qu’un temps et les dissensions politiques ivoiriennes, momentanément oubliées grâce à la victoire des Eléphants en Coupe d’Afrique des nations (CAN), le 11 février à Abidjan, commencent à refaire surface.

Le prochain grand rendez-vous national sera moins festif que le tournoi de football qui a enchanté le pays pendant un mois : il s’agira des funérailles de l’ancien président Henri Konan Bédié (1993-1999), mort le 1er août 2023. En prévision des obsèques du « Sphinx », Tidjane Thiam, son successeur à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), ancien parti unique devenu la principale formation d’opposition, a nommé, lundi 19 février, un comité d’organisation à l’effectif pléthorique.

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En pleine restructuration de l’appareil du parti, l’ancien banquier a accordé dans la foulée de son élection, en décembre, sa grâce aux « indisciplinés » du PDCI, sanctionnés pour « atteinte à l’unité du parti » après s’être présentés en indépendants aux élections législatives de septembre. La mesure peut être vue comme une volonté d’apaisement en interne à l’approche de l’élection présidentielle, prévue fin 2025. Dans cette perspective, et même s’il ne s’est toujours pas officiellement déclaré, Tidjane Thiam resserre les rangs autour de lui et cherche à élargir sa base de soutiens.

A l’occasion d’une première réunion de militants au siège du parti, mercredi à Abidjan, où une délégation de l’ouest du pays est venue saluer son élection, il a publiquement dénoncé le faible nombre d’Ivoiriens inscrits sur les listes électorales : 8 millions, selon la Commission électorale indépendante (CEI). Or la Côte d’Ivoire compte près de 30 millions d’habitants, dont 12,5 millions sont âgés de plus de 18 ans. « Une vraie anomalie qui explique beaucoup des problèmes de notre démocratie », juge Tidjane Thiam. Où sont passés les 4,5 millions d’électeurs potentiels restants ? Justement dans les régions occidentales, croit savoir celui pour qui « la route vers le palais [présidentiel] passe par l’Ouest ».

Pourquoi l’Ouest ? D’abord parce qu’il s’agit des régions les plus peuplées. Pas moins de 3 millions d’habitants pour le district des Montagnes, suivi par le Sassandra-Marahoué et le Bas-Sassandra (2,7 millions chacun), puis le Lôh-Djiboua (2,1 millions). Attirer ces populations sur les listes électorales puis vers les urnes, juge le président du PDCI, permettrait d’apporter un début de solution au « problème de crédibilité » des élections.

Réservoir de voix

Devant les militants, Tidjane Thiam fait le calcul : « Si, sur 8 millions, on atteint 50 % de participation, ça fait 4 millions d’électeurs aux urnes. Donc la majorité est à un peu plus de 2 millions. Avec 2,1 millions de votes, on peut diriger un pays de 30 millions d’habitants ! Ce n’est pas démocratique. »

Mais surtout, l’Ouest pourrait bien être un réservoir de voix crucial pour la stratégie de reconquête du pouvoir du PDCI. « Si vous suivez les mouvements migratoires dans le pays, reprend Tidjane Thiam, on peut faire l’hypothèse qu’une grande part de ces voix viendraient chez nous. » En sous-texte, c’est l’électorat baoulé, dont le PDCI est l’aimant depuis sa fondation par le président Félix Houphouët-Boigny, qui est visé.

Dans les années 1970 et 1980, de nombreux membres de cette communauté du centre du pays ont en effet migré vers l’Ouest forestier pour travailler dans les plantations, en particulier celles de cacao. Une population rurale qui serait restée acquise au PDCI, selon Tidjane Thiam, mais dont une grande partie n’aurait jamais été inscrite sur le registre électoral, voire à l’état civil.

En Côte d’Ivoire, l’ex-banquier Tidjane Thiam prend la tête du PDCI, la présidence désormais en ligne de mire

Ce n’est pas la première fois que l’état des listes électorales fait l’objet des critiques de l’opposition. Du côté du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), la cheffe de cabinet de Laurent Gbagbo, Habiba Touré, accusait en mai 2023 le registre d’être « truffé d’irrégularités et d’éléments frauduleux », incluant notamment des mineurs, des personnes décédées et des doublons. Des cas qui, selon elle, « décrédibilisent totalement la CEI ».

Autant d’accusations qui risquent de devenir récurrentes à l’approche d’échéances électorales où devrait une fois de plus se rejouer la valse entre les trois principaux partis, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), du président Alassane Ouattara, le PDCI, de Tidjane Thiam, et le PPA-CI, de Laurent Gbagbo. Pour l’heure, aucune de ces trois personnalités n’a annoncé sa candidature, mais personne ne doute de leur volonté de solliciter le vote des électeurs.

Article de Marine Jeannin

Le Monde

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