À l’ONU, le Mali s’obstine à accuser la France d’armer les djihadistes

© POOL REUTERS Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères au Mali, à l’ONU le 17 octobre 2022.

Nouvelle passe d’arme entre la France et le Mali mardi soir à l’ONU. Lors d’une session du Conseil de sécurité sur la crise sécuritaire malienne, le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop a réitéré, le regard noir, ses «graves» accusations «d’agression et d’espionnage» vis-à-vis de Paris.

Outre la violation de son espace aérien, le chef de la diplomatie reproche à son ancien allié de livrer des armes aux groupes djihadistes, à des fins de déstabilisation interne. «Accusations mensongères et diffamatoires», a réagi Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès des Nations unies, niant en bloc ces allégations.

Rien de neuf dans le discours du diplomate en chef de la Transition au Mali, qui reprend presque mot pour mot sa lettre adressée au Conseil de sécurité du 15 août dernier. Le ministre s’est dit «surpris» que le rapport du secrétaire général a «passé sous silence» cette saisine, dans laquelle il réclamait une réunion spéciale pour fournir les preuves concrètes des «violations flagrantes de l’espace aérien malien» par l’aviation française.

Celles-ci, affirmait la lettre, auraient servi à «collecter des renseignements» et «larguer des armes et des munitions» aux groupes terroristes de la zone.

Depuis lors, aucun des quinze États membres n’a saisi le conseil sur ce sujet. Pas même la Russie, qui profite pourtant du départ de la France pour occuper la place au Sahel. Face à cette fin de non-recevoir, Abdoulaye Diop est revenu à la charge mardi en réclamant, pour la tenue de cette réunion, l’appui… de la France elle-même. «Je souhaite que la France donne son accord pour que nous pussions avoir cette session dans les plus brefs délais, pour que l’État malien apporte à la face du monde des preuves concrètes et tangibles», a-t-il martelé, mettant en jeu «la crédibilité de l’État malien».

Et de revenir à la charge, le doigt pointé vers l’ambassadeur français : «Je souhaite que la France soit porteuse de cette demande».

Accusations sérieuses ou simple provocation ? «Le Mali a eu par deux fois l’opportunité d’apporter ces fameuses preuves : lors de l’Assemblée générale en septembre, et lors de la session d’hier.

N’est-ce pas curieux qu’il ne l’ait pas fait ?», relève le chercheur Yvan Guichaoua, enseignant en analyse des conflits à la Brussels School of international studies de l’Université du Kent. «Pourquoi, d’ailleurs ne pas utiliser d’autres canaux, par exemple une conférence de presse ?». Pour le chercheur, cette manière de profiter de la tribune onusienne est clairement opportuniste. «Ce sont des arènes internationales utilisées pour des fins nationales, et plaire à la base populaire qui soutient la junte au Mali», analyse-t-il.

Si le Quai d’Orsay rejette catégoriquement ces allégations, évoquant une «multiplication des manipulations de l’information», la musique d’une déstabilisation française au sein de l’État malien est désormais bien ancrée à Bamako. «Qui bloque la plainte malienne à l’ONU ?», titrait ainsi lundi le quotidien malien L’Aube. «Pourquoi ce blocage ? La France a peur de quoi ? L’ONU, l’UA et la Cedeao sont-elles finalement devenues complices des Autorités françaises ?», continuait le journal, repris par de nombreux sites en ligne.

Des «preuves» fantôme

Concrètement, ces preuves peuvent-elles exister ? «Sur la violation de l’espace aérien, il y a peut-être eu ambiguïté sur le champ d’application temporel et géographique de l’accord bilatéral», explique Yvan Guichaoua. En réponse au ministre malien, Nicolas de Rivière a contesté «formellement toute violation du cadre juridique bilatéral» entre les deux pays, or cet accord de défense a été rompu en mai dernier à l’initiative de Bamako.

Le chercheur suppose que la force Barkhane, désormais redéployée au Niger voisin, a pu survoler épisodiquement la zone dite des «trois frontières» dans le Nord. En ce sens, ni la junte ni la France «n’auraient complètement tort». «En revanche, il n’y a pas l’ombre d’un commencement de preuve sur des livraisons d’armes ou de carburant aux djihadistes. Le Mali réserve peut-être des surprises, mais de l’extérieur, on voit mal en quoi ces accusations font référence, souligne-t-il. On est dans le flou absolu».

Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France à l’ONU, n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler la progression constante de la menace djihadiste au Mali. Mardi encore, deux Casques bleus de la mission de l’ONU ont été tués et quatre autres grièvement blessés par l’explosion d’un engin explosif improvisé dans le Nord. «La Minusma est en danger», a-t-il alerté, et ses missions subissent quotidiennement des «entraves» par la menace djihadiste. «Nous comptons sur l’esprit de responsabilité des autorités de transition pour ne pas précipiter un départ dont les Maliens seraient les premières victimes», a ajouté le diplomate.

Le Figaro