« Sahelxit »: la décision du Mali, du Burkina Faso et du Niger déstabilise l’alliance économique de la Cedeao

Les « trois frontières » au Sahel
© AFP

Tel un coup de massue, l’annonce soigneusement préparée du départ simultané du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est tombée ce dimanche. Une décision qui va faire date dans l’histoire de cette organisation régionale.

Tel un coup de massue, l’annonce soigneusement préparée du départ simultané du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est tombée ce dimanche. Une décision qui va faire date dans l’histoire de cette organisation régionale.

Les trois pays qui composent désormais l’Alliance des États du Sahel quittent définitivement la Cedea. Une décision qui est le résultat des tensions entre les trois pays et l’organisation supranationale depuis l’arrivée au pouvoir de juntes militaires à la tête de ces Etats, Assimi Goïta pour le Mali, Ibrahim Traoré pour le Burkina Faso et Abdourahamane Tiani au Niger.

La menace d’une intervention militaire venant de la Cedeao pour remettre en place Mohamed Bazoum, l’ancien président du Niger, déchu à la suite d’un putsch militaire en 2023, a été brandi contre le nouveau pouvoir du Niger.

Ce contexte difficile a contribué à accentuer les dissensions internes à la Cedeao, jusqu’à entraîner cette rupture immédiate.

Un schisme aux lourdes conséquences

Fondée en 1975 au lendemain des indépendances, la Cedeao comptait jusqu’à ce dimanche 28 janvier 2024 quinze pays. L’économie de cet immense espace de libre-échange était déjà affaiblie par les sanctions contre le Niger et le Mali. Mais avec ce schisme, la situation risque de sérieusement se dégrader.

Aujourd’hui, la Cedeao c’est un PIB de 722.588 milliards d’euros. Les trois partants réunis représentaient 50 milliards d’euros de cette économie. Le bloc est largement dominé par le Nigeria qui pèse à lui tout seul 450 milliards d’euros sur ce PIB.

Le Nigéria, frontalier du Niger, pâtit de la fermeture des frontières et de la suspension des transactions financières entre les deux pays. Les prix des denrées importées des pays du Sahel ont explosé, créant des effets inflationnistes sur le pouvoir d’achat des ménages des pays de la zone économique.

Selon les statuts de la Cedeao, une période d’une année est prévue pour négocier le divorce. L’organisation sous-régionale s’est dite ouverte à la discussion. Cela prendra du temps et selon le résultat, l’effet sur l’économie sera plus ou moins négatif.

Nouvelle alliance, nouvelle monnaie

Longtemps évoqués, mais périlleux à mettre en place, les projets de nouvelle monnaie en Afrique ont rarement abouti. En 2023 et malgré les multiples contre-indications de la CEDEAO et des organisations de la même air géographique telles que la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont annoncé publiquement leur projet de monnaie commune nommé « Sahel ».

En quittant l’Union économique et monétaire ouest-africaine, la néocoalition renoncerait au franc CFA, la monnaie des huit autres pays membres de l’Uemoa. Cette nouvelle monnaie commune semble être la prochaine étape du cavalier seul engagé par le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

Une décision « risquée », selon Bénaouda Abderaïm, spécialiste économique à BFM Business. Un avis partagé par plusieurs observateurs.

« La monnaie, c’est politique, c’est un acte de souveraineté »

« La monnaie, c’est politique, c’est un acte de souveraineté » explique Denis Cogneau, spécialiste de l’économie africaine, professeur à l’École d’économie de Paris et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) avant de détailler son propos « L’établissement d’une nouvelle monnaie peut être une bonne intention dans un projet global où l’on cherche à récupérer plus d’autonomie et de souveraineté »

Cependant, pour l’instant, le manque d’information sur la constitution et la gestion de cette monnaie laisse perplexe.

« Quand on met en place une monnaie, il y a des choses concrètes et simples à prendre en compte. Comment vont-ils lutter contre les fraudes? Où vont-ils produire cette nouvelle monnaie? Et cetera… Pour l’instant, nous n’avons que très peu d’informations », s’interroge Denis Cogneau.

La réussite d’une monnaie dépend d’une multitude de facteurs économiques, monétaires, techniques, géopolitiques et aussi de la confiance que les agents du marché accordent à la devise.

Selon le professeur Cogneau, il y a des conditions politiques et sécuritaires pour qu’une monnaie inspire confiance. Choses qui ne sont pour l’instant pas réunies dans le cas de la création du Sahel.

Les alliances économiques africaines n’en sont pas à leur première scission

Rappelons que ce n’est pas le premier départ d’un pays membre de la Cedeao. En 2000, la Mauritanie avait aussi quitté l’alliance, sans grande conséquence pour le bloc.

Et en 1962, pour rompre le lien colonial avec la France, le Mali était sorti de la zone franc CFA pour créer le franc malien. Très rapidement, la monnaie s’est énormément dépréciée et a perdu la moitié de sa valeur. En 1984, les Maliens étaient revenus dans la zone franc CFA.

BFM Business