Certains membres du Congrès américain doivent leur richesse à l’esclavage
Des sénateurs et représentants américains sont plus riches que les autres grâce à leurs ancêtres esclavagistes. Les lois de réparations restent bloquées.
Les États-Unis sont loin d’avoir refermé la page de l’esclavage, et cela se voit encore au Congrès. Les parlementaires américains dont les ancêtres ont réduit des personnes en esclavage ont un patrimoine bien plus élevé que les autres, d’après une nouvelle étude parue dans PLOS ONE et dirigée par Neil K. R. Sehgal, doctorant en sciences sociales computationnelles à l’université de Pennsylvanie. L’analyse se fonde sur une enquête de Reuters, qui révélait en 2021 qu’au moins 100 élus du Congrès descendaient d’esclavagistes. Ce chiffre concerne 8% des Démocrates et 28% des Républicains.
L’étude de Neil K. R. Sehgal et de son père Ashwini Sehgal montre que plus les ancêtres de membres du Congrès ont asservi d’esclaves, plus la fortune de ces parlementaires est haute. Une donnée qui reste vraie même en ajustant en fonction de l’âge, du genre, de l’appartenance ethnique et du niveau de diplôme. Le groupe d’élus dont la famille possédait plus de quinze esclaves jouit aujourd’hui d’un patrimoine net médian cinq fois supérieur au groupe d’élus n’ayant pas d’ancêtre esclavagiste. La différence s’élève à 4,5 millions de dollars, soit 4 millions d’euros.
Cette découverte montre à quel point les gens «continuent de bénéficier de l’institution» de l’esclavage, analyse Robert Reece, sociologue à l’université du Texas à Austin et cité par Scientific American. «Je pense que c’est un bon argument en faveur de mesures comme les lois de réparations», ajoute-t-il. D’autant que les résultats sous-estiment probablement le lien entre esclavagisme passé et fortune actuelle au Congrès. En effet, l’enquête de Reuters ne relève que le nombre d’esclaves du descendant direct le plus proche. Les esclaves précédents de la même lignée, ainsi que ceux des ancêtres indirects, ne sont donc pas pris en compte.
Patrimoine net médian des parlementaires du Congrès américain en 2021, selon le nombre d’esclaves possédés par leurs ancêtres

Ces résultats font en tout cas écho à l’important écart de richesse entre Blancs et Noirs aux États-Unis. Là où 20,4% des foyers blancs ont un patrimoine supérieur au million de dollars, seuls 5.5% des foyers noirs atteignent ce niveau, d’après un rapport du Bureau du recensement de 2024. Ce fossé s’est creusé pendant l’esclavage, s’est maintenu à cause des lois racistes de la ségrégation et ne se résorbe pas à cause de certaines pratiques de ce qu’on appelle la «ségrégation de facto». Il s’agit de directives administratives ou de pratiques sociales qui continuent de priver les Afro-Américains d’égalité de traitement, malgré la fin de la ségrégation en droit.
Les Républicains continuent de s’opposer aux lois de réparations
«Beaucoup d’études [ont exploré] la pauvreté des descendants d’esclaves, mais moins se sont penchées sur la richesse des descendants d’esclavagistes», remarque Neil K. R. Sehgal. On sait néanmoins que les personnes blanches dans les comtés qui pratiquaient le plus l’esclavage bénéficient aujourd’hui de meilleures conditions socioéconomiques. Ou encore que les petits-enfants des familles ruinées par la perte de leurs esclaves après la guerre de Sécession (1861-1865) avaient retrouvé une grande partie de leur patrimoine en 1940. Mais la recherche scientifique ne peut remonter jusqu’à nos jours: les données du recensement restent inaccessibles après cette date.
Heureusement pour cette étude, les membres du Congrès, eux, publient leur patrimoine pour des raisons de transparence. Cet échantillon n’est bien sûr pas représentatif de la population américaine. Le patrimoine net médian des parlementaires culmine à 1,28 million de dollars (1,15 millions d’euros), contre 166.900 dollars (149.920 euros) pour les foyers américains, toujours selon le recensement. Ceci dit, l’analyse reste très importante car «c’est bien cette population qui dirige le pays», note Robert Reece.















