Les défenses antiaériennes ukrainiennes bientôt vides, la Russie va-t-elle exhiber son Su-57?

Jusqu’ici invisible, le SU-57 pourrait jouer un rôle plus actif dans les prochains mois. | Sefa Karacan / Anadolu Agency /

La semaine passée apparaissait dans la nature, après un drôle de cheminement sur lequel le Département américain de la justice mène l’enquête, une masse de documents classifiés sur la guerre en Ukraine et l’état des forces en présence.

There are two versions of this same leak (or « leak »): the original had estimated Ukrainian losses throughout the war lower than Russian losses, & the apparently edited one had Ukrainians at a dramatically higher loss count. Censorship is pretty silly, as it’s everywhere now https://t.co/rHdIyy6VXn

— Aric Toler (@AricToler) April 7, 2023

Ce que The Economist nomme comme la «pire fuite du renseignement américain depuis une décennie» est certes à prendre parfois avec quelques pincettes, mais reste riche de nombreux enseignements et constitue une fenêtre ouverte sur la manière dont les États-Unis surveillent de près leurs ennemis comme leurs alliés.

Surtout, si ce que ces documents rapportent est vrai, ils donnent des informations cruciales sur l’état des forces en présence en Ukraine, leurs forces et leurs faiblesses, et leurs perspectives dans les semaines à venir. Au point de pousser l’Ukraine à modifier certains des plans de sa contre-offensive tant attendue, comme l’a expliqué le président Zelensky lui-même.

Un élément frappe en particulier, comme l’explique un article du New York Times. Selon ces documents, l’Ukraine pourrait, sans appui supplémentaire et accéléré de ses alliés, voir ses stocks de défenses anti-aériennes vidés dès les prochaines semaines.

Celles-ci ont été, depuis le début de la guerre, cruciales pour tout le reste. Associées à l’intelligence du commandement ukrainien et au manque de vision de son homologue russe, elles ont permis à la surprise de tout le monde de garder à distance l’armée de l’air de Vladimir Poutine, voire de l’user petit à petit, et pour longtemps.

These are the indicative estimates of Russia’s combat losses as of April 10, according to the Armed Forces of Ukraine. pic.twitter.com/jCGR6GkQhD

Selon les chiffres donnés par le ministère ukrainien de la défense, ce sont ainsi 307 avions à ailes fixes et 292 hélicoptères russes qui auraient mordu la poussière depuis le début du conflit. Si les forces en bleu et jaunes ont également subi de lourdes pertes, c’est considérable et cela explique en partie les précautions prises par le Kremlin dans son utilisation de sa force de frappe aérienne.

Mais les choses pourraient changer. La Russie, depuis des mois, lance vague après vague de missiles de croisières et de drones sur le territoire ukrainien et ses structures civiles critiques, obligeant le pays à déployer l’ensemble de ses défenses anti-aériennes pour éviter le pire.

Comme nous l’expliquions il y a quelques semaines, un drone iranien Shahed-136 coûte 20.000 dollars à produire mais 50.000 dollars à abattre. Leur utilisation massive et régulière, aux côté de missiles plus classiques voire de ballons de renseignement, force l’Ukraine à puiser dans un stock de munitions anti-aériennes qui n’a rien d’illimité.

La peur du vide

Selon les rapports de situation ayant fuité, qui semblent dater de fin février, les missiles pour les vieux systèmes S-300 et Buk de l’ère soviétique, qui constituent la colonne vertébrale historique de la défense ukrainienne, pourraient être vides entre la mi-avril et début mai.

Quant aux défenses ukrainiennes placées proches de la ligne de front, seul endroit où la Russie tente encore des sorties, elle pourraient au rythme alors constaté être «complètement réduites» aux alentours du 23 mai. Cela pousserait peut-être Kiev à redéployer des unités chargées de la défense du reste du territoire, l’exposant alors un peu plus aux frappes russes.

Bien sûr, la Russie manque elle aussi très cruellement de munitions; c’est en partie autour de leur industrie et de la capacité de chaque camp à alimenter une consommation record que la guerre pourrait se jouer. Des FIM-92 Stinger portables aux beaucoup plus complexes systèmes Iris-T, au Crotale français, au fameux Patriot américain ou au NASAMS, les alliés de l’Ukraine sont conscient de l’enjeu et envoient des défenses anti-aériennes –et leurs munitions– à un rythme soutenu.

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Car comme l’explique le New York Times, un effondrement des défenses de Kiev pourrait donner quelques envies à la Russie de faire ce qu’elle n’a pas encore osé faire: envoyer plus près du front –voire au front– le fleuron de ses forces aériennes, en particulier ses aéronefs les plus modernes, comme le SU-57 que le Kremlin a jusqu’ici eu trop peur de perdre.

Avec un soutien aérien plus musclé, plus libre de frapper comme il veut et où il veut, la Russie pourrait faire très mal aux lignes ukrainiennes, aux concentrations de troupes comme à la si précieuse artillerie, ces HIMARS, Caesar ou Krab qui, jusque-ici, ont constitué l’un des nerfs principaux de la guerre.

Si l’Ukraine veut résister ou, mieux, contre-attaquer, il faudra qu’elle conserve l’aviation russe à distance, et qu’elle empêche de nouveaux avions d’approcher un front considéré comme trop dangereux pour eux.

Interrogé par le NYT, le porte-parole des forces aériennes ukrainiennes Yurii Ihnat a tenu à calmer ces inquiétudes qui, rappelons-le, reposent sur des fuites obscures et plutôt anciennes. Selon lui, les armes envoyées par l’occident peuvent remplacer celles dont les stocks de munitions ont été vidés.

«La question est celle du nombre. Pour complètement les remplacer, a-t-il écrit au journal américain en parlant des systèmes de l’ère soviétique, nous avons besoin de beaucoup de systèmes, et je ne vous dirai pas combien.» La réponse est dans doute simple: plus, beaucoup et vite.

korii.