Sénégal : la marche contre le report de la présidentielle repoussée, l’internet mobile suspendu dans tout le pays

Article de LIBERATION, AFP

Les organisateurs d’une marche de la société civile sénégalaise prévue ce mardi 13 février à Dakar contre le report de dernière minute de la présidentielle ont décidé de la repousser après son interdiction par les autorités, ont annoncé quatre d’entre eux, évoquant un potentiel report à vendredi.

Le collectif Aar Sunu Election (Protégeons notre élection), qui revendique plusieurs dizaines d’organisations syndicales et de groupes citoyens et religieux, avait appelé les Sénégalais à se rassembler massivement pour une marche silencieuse à partir de 15 heures (16 heures, heure de Paris) dans un quartier proche du centre de la capitale.

Dans une lettre officielle publiée sur les réseaux sociaux – que des représentants du collectif confirment avoir reçue –, la préfecture invoque un «risque de perturber gravement» la circulation. «Nous allons reporter la marche car nous voulons rester dans la légalité. La marche a été interdite. C’est un problème d’itinéraire. Donc nous allons changer cela», a affirmé Malick Diop, un coordinateur du collectif Aar Sunu Election.

Dans le même temps, l’internet sur les mobiles a été suspendu dans tout le pays, comme ce fut le cas il y a huit jours lorsque la loi de report de la présidentielle a été votée au Parlement. «En raison de la diffusion sur les réseaux sociaux de plusieurs messages haineux subversifs qui ont déjà provoqué des manifestations violentes, […] l’internet des données mobiles est suspendu ce mardi 13 février», a détaillé dans un communiqué le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique. Vendredi 9 février, un appel diffusé sur les réseaux sociaux – dont les auteurs n’ont pas été précisément identifiés – avait en effet mené à une contestation d’ampleur violemment réprimée par les forces de sécurité. Trois jeunes hommes ont été tués, sans compter les nombreux blessés.

L’opposition dénonce un «coup d’Etat constitutionnel»

Depuis le 3 février, date à laquelle le président sortant Macky Sall a annoncé le report de la présidentielle à trois semaines de l’échéance, le Sénégal est en proie à l’une de ses plus graves crises politiques des dernières décennies.

Ses partisans à l’Assemblée nationale et ceux de Karim Wade, candidat disqualifié, ont ensuite entériné le renvoi de l’élection au 15 décembre et le maintien du président Sall à son poste. Son mandat – qui expirait officiellement le 2 avril – devrait donc courir jusqu’à la prise de fonctions de son successeur, a priori début 2025.

Exceptionnel dans un pays vanté pour sa stabilité démocratique, ce changement in extremis a été dénoncé par l’opposition comme un «coup d’Etat constitutionnel». Elle suspecte une manœuvre destinée à conserver le chef d’Etat sortant au pouvoir, alors que le camp présidentiel redoute la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, désigné par Macky Sall pour lui succéder. Elu en 2012 et réélu en 2019, ce dernier répète pourtant depuis juillet dernier qu’il ne se représentera pas, après avoir entretenu le flou autour de sa candidature à un troisième mandat. Des partenaires internationaux du Sénégal ont exprimé leur inquiétude devant la situation et appelé – plus ou moins explicitement – à un rétablissement du calendrier électoral.

Les défenseurs des droits humains sur le qui-vive

Macky Sall a justifié ce report par les farouches querelles suscitées par le processus de validation des candidatures. Le chef d’Etat sortant a dit souhaiter une élection incontestable, s’inquiétant du risque de nouveaux accès de violence. Il a également affirmé sa volonté «d’apaisement et de réconciliation» et proposé un dialogue au reste de la classe politique.

Une main tendue qui interroge vis-à-vis de son acceptation par l’opposition et d’une éventuelle libération des opposants politiques Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et des personnes emprisonnées depuis 2021. Certains médias ont évoqué la possibilité d’une amnistie, non confirmée par la présidence ou le gouvernement sénégalais.

Les défenseurs des droits humains s’inquiètent, eux, d’un nouvel épisode de violences comme le pays en a connu en mars 2021 et en juin 2023 autour du sort de l’opposant antisystème Ousmane Sonko, candidat écarté de la course à la présidentielle. Depuis 2021, ils décomptent des dizaines de personnes tuées et des centaines arrêtées.