Au Sénégal, « beaucoup d’hommes infertiles épousent d’abord une deuxième femme avant d’accepter que le problème vient d’eux »

Dans une église du Cap, en Afrique du Sud, en octobre 2019.

« La PMA de Dakar à Kinshasa » (3). En Afrique, où infertilité et impuissance sont associées dans l’imaginaire, la honte et le secret imprègnent les familles.

Il y a cette gêne non feinte à en parler. A voix basse, le regard baissé, Souleymane déroule son histoire d’homme infertile avec peine. Il a 36 ans, dont huit années de mariage. « Les gens se moquent de moi et de ma femme car nous n’avons pas d’enfant, confie-t-il. On a d’abord pensé que le problème venait d’elle. Mais elle ne souffre de rien.

Puis, je me suis dit que je devais me faire tester. » Le résultat tombe : varicocèle bilatérale. Une pathologie souvent asymptomatique qui provoque une dilatation des veines au niveau du cordon spermatique, le canal qui relie les testicules à l’urètre.

« Le cas de Souleymane n’est plus isolé, constate Racine Kane, urologue sénégalais formé à l’hôpital du Val de Grâce, à Paris, qui le reçoit ce jour-là en consultation dans son cabinet dakarois. 75 % de mes consultations en ville concernent désormais des problèmes d’infertilité masculine. Je vois beaucoup d’hommes de moins de 30 ans qui souffrent de testicules non fonctionnels ou qui ne produisent pas ou peu de spermatozoïdes. »

La PMA progresse en Afrique, continent le plus touché par l’infertilité

Pour ces jeunes patients, l’infertilité est d’autant plus difficile à accepter qu’elle est traditionnellement associée aux femmes. « Quand on leur demande de faire un spermogramme, beaucoup refusent. Ils vont d’abord épouser une deuxième ou une troisième femme avant d’accepter que le problème vient d’eux », observe l’urologue.

Au Sénégal, on confond infertilité et impuissance. D’un homme qui n’a pas d’enfant, on dit qu’il n’est pas un vrai homme. Certains de mes patients en grande souffrance ont eu besoin d’un accompagnement psychologique. »

Ces réticences retardent la prise en charge médicale, souvent ralentie par des années de soins auprès de tradipraticiens. Pour ces derniers, l’infertilité constitue un marché lucratif. Aux couples désemparés, ils proposent des tarifs abordables même pour les moins aisés et des consultations sans délai d’attente.

« Ma femme m’a poussé à rencontrer un tradipraticien au bout de quelques années de mariage. Il m’a assuré qu’il pouvait me soigner et qu’aucune opération n’était nécessaire. » Mais, faute de résultats, Souleymane a fini par subir une chirurgie des deux testicules. Une opération qui a coûté 560 000 francs CFA (853 euros) à cet employé d’une entreprise de construction.

Pollution, stress, tabac et alcool

De l’infertilité de son mari, Estelle* parle désormais en riant. « Je l’appelais “Monsieur 1 %” car seulement 1 % de ses spermatozoïdes étaient viables. Ils étaient globalement lents et mal formés », s’esclaffe-t-elle entre deux tétés.

Un cas extrême qui a poussé le couple à suivre un programme de procréation médicalement assistée (PMA). A chaque tentative, Estelle a fait face aux douleurs physiques au bas-ventre causées par les injections d’hormones.

Son corps a subi une importante prise de poids et son visage s’est couvert d’acné. Montant des deux fécondations in vitro, traitements et hospitalisation compris : 15 200 euros. « Nous y avons mis toutes nos économies et notre train de vie a brusquement chuté, ce qui a surpris nos proches à qui nous avons caché notre problème. On était seuls à porter ce fardeau. »

Après deux échecs, le couple se résigne. Estelle farfouille sur le Net, dégote des recettes improbables pour « aider » son mari. « Je lui posais de la glace sur les testicules pour refroidir ses spermatozoïdes, car c’était l’un des symptômes de sa pathologie. Je lui faisais aussi boire des potions de noix de cola, de café, des jus. Bref, j’ai tout essayé. »

Au Sénégal, la grande solitude face à l’infertilité : « Pour les autres, je suis un ventre vide, une femme incomplète »

De son côté, son époux change drastiquement son hygiène de vie. Finis l’alcool et le tabac. Puis, un soir de décembre 2021, l’énième test de grossesse de l’année dessine une petite croix. Estelle est tombée enceinte de manière naturelle.

Huit mois plus tard, en juillet 2022, elle donne naissance à leur enfant. « Notre médecin est persuadé que les nouvelles habitudes de vie de mon époux ont favorisé cette grossesse. » Un avis qui rejoint les études récentes selon lesquelles l’infertilité masculine résulterait, en plus des infections sexuellement transmissibles non soignées, de facteurs environnementaux, comme la pollution, le stress et la consommation d’alcool ou de tabac.

La qualité de la semence masculine s’est par ailleurs effondrée partout dans le monde ces dernières décennies. Ainsi, la concentration moyenne de gamètes dans le sperme est passée de 101 millions par millilitre (M/ml) en 1973 à 49 M/ml en 2018 d’après des travaux parus en novembre 2022. Et la tendance pourrait bien s’accélérer.

Forme d’adultère

C’est dans ce contexte préoccupant que la PMA s’implante discrètement sur le continent africain. Plusieurs centres ont ouvert ces dernières années dans les grandes villes. Mais la pratique demeure réservée aux plus aisés, faute d’engagement des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds internationaux.

« Face au paludisme, à la mortalité maternelle et infantile ou à l’insécurité alimentaire qui tuent encore, l’infertilité est considérée comme un luxe par nos Etats. Les donateurs eux se demandent pourquoi ils devraient aider les Africains à faire plus d’enfants alors qu’ils peinent à nourrir les vivants », regrette le docteur Djédi Kaba Diakité, pionnier de la PMA en Afrique de l’Ouest, à la tête de l’une des rares cliniques de fertilité au Mali.

Des difficultés d’autant plus grandes au Sénégal que le don de sperme, en dehors de celui du conjoint, demeure interdit pour des raisons religieuses. Celui-ci est assimilé à une forme d’adultère.

Par ailleurs, l’option de l’adoption suscite également de fortes réticences des couples. « Quand toutes les voies sont épuisées, nous leur proposons d’adopter mais le refus est catégorique. Il y a l’idée que la filiation n’est pas respectée », regrette la gynécologue obstétricienne Rokhaya Ba Thiam.