Au Mali, après une frappe sur Tinzawaten : « Les civils se pensaient à l’abri près de la frontière algérienne »

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Au matin du 25 août, la ville malienne de Tinzawaten, située à la frontière avec l’Algérie, a été ciblée à deux reprises par un drone. Les frappes, qui font suite à des affrontements récents dans la région, auraient causé la mort de 26 civils. Notre Observateur était sur place au moment du drame.
Parmi les images qui circulent sur les réseaux sociaux, il y a celles, insoutenables, des corps déchiquetés et ensanglantés par les deux frappes de drones, devenues trop habituelles dans les combats qui secouent le nord du Mali. D’autres qui montrent des murs effondrés et des chaussures égarées, témoignent aussi de la violence des explosions survenues le matin du 25 août aux abords de la ville Tinzawaten, touchant une pharmacie.
La pharmacie qui a été touchée n’est située qu’à 80 mètres de la frontière avec l’Algérie – dans la localité d’Inkharabane, à proximité immédiate de Tinzawaten. Depuis plusieurs semaines, la région est au centre d’affrontements entre les groupes séparatistes touareg et les Forces armées maliennes (Fama), épaulées par les mercenaires du groupe paramilitaire d’origine russe Wagner.
Située au nord-est du pays, Tinzawaten est devenue un fief de la rébellion touareg. Elle constitue donc un objectif prioritaire pour les Forces armées maliennes qui ont tenté de s’en emparer, sans succès, à la fin du mois de juillet. Presque un mois après cet échec, les mines d’or situées au sud de la ville avaient également été ciblées par des drones.
Deux versions opposées des événements
Dans un communiqué, l’armée malienne affirme avoir ciblé « des véhicules pick-up chargés de matériel de guerre, soigneusement gardés dans la cour d’une concession de la localité ». Selon l’armée, « une série de frappes a permis de détruire des cibles et de neutraliser une vingtaine d’individus armés ».
Ce n’est pas la version du groupe armé touareg CSP-DPA : son communiqué fustige une frappe dont « le bilan s’élève à 21 civils tués dont 11 enfants ».
Dans les images qui sont apparues en ligne quelques heures après l’attaque, on voit de nombreuses victimes civiles, dont certains corps sans vie semblent être ceux d’enfants.
« Ce sont des commerçants qui se sont fait bombarder »
Pour notre Observateur, Abdollah Ag Mohamed, un reporter touareg indépendant, il n’y a pas de doute : des civils, dont des enfants, ont été tués par les frappes. Il était présent à Tinzawaten au moment des frappes.
Le drone a commencé à survoler la ville vers 6 heures du matin et la première frappe de drone a eu lieu vers 11 h 30. Il y avait quatre véhicules qui étaient stationnés devant la pharmacie, ils ont donc été visés par l’engin. Des gens sont venus secourir les blessés devant le bâtiment. Mais au bout de 30 minutes, il y a eu une deuxième frappe. C’est dans ce second bombardement que 11 enfants ont trouvé la mort.
Au total, il y a 25 ou 26 morts. Parmi eux, on compte neuf ressortissants d’origine soudanaise et cinq citoyens algériens. Il y a une vingtaine de blessés qui ont été évacués en Algérie, certains ont été gravement touchés.
« Quand le missile a touché la pharmacie, aucune munition n’a explosé »
Les Forces armées maliennes disent qu’elles visaient des véhicules qui transportaient des équipements militaires, mais c’est faux. Quand le missile a touché la pharmacie, aucune munition n’a explosé.
C’est vraiment triste, car ce sont des commerçants qui se sont fait bombarder. Les civils pensaient qu’ils ne se feraient pas bombarder ici, parce que la pharmacie est située à proximité de la frontière avec l’Algérie. Désormais, les gens savent qu’ils n’ont plus le choix et qu’ils peuvent se faire bombarder partout. Ici, les gens disent qu’il s’agit d’un bombardement de l’armée burkinabé, car les drones de forces maliennes sont stationnés à Gao et n’ont pas l’autonomie nécessaire pour venir jusqu’à Tinzawaten.
 D’autres vidéos montrent des civils prenant la fuite vers la frontière algérienne qui n’est démarquée que par un muret.
Des chaînes Telegram pro-Wagner qui dénoncent un bombardement inutile
Alors que les récits des bombardements diffèrent, entre celui des rebelles touareg et celui de la junte malienne, des soutiens de cette dernière remettent en cause le narratif de Bamako. En effet, sur Telegram, des blogueurs russes pro-Wagner critiquent l’utilité du bombardement de la ville, alors même que le groupe russe est déployé aux côtés des Forces armées maliennes.
Ainsi, le canal Telegram « Departamente », spécialisé dans le suivi des opérations africaines des mercenaires russes, attaque vigoureusement l’armée malienne : « Les résultats sont pour le moins inefficaces.[…] les installations militaires n’ont pas été touchées ». Selon eux, cet échec s’explique par « le renseignement malien, ou plutôt son absence quasi totale ».
Le canal Telegram « Wagner_group2022 » évoque quant à lui une responsabilité de l’armée burkinabè qui aurait effectué le bombardement à l’aide de drones turcs. En effet, Mali et Burkina Faso sont tous deux membres de l’Alliance des États du sahel (AES) et collaborent dans la lutte contre les groupes armés.
Il est cependant peu probable que l’armée malienne soit à l’origine de la frappe à Tinzawaten. En effet, selon Abdollah Ag Mohamed, le drone faisait « un bruit différent » des drones de type TB2 habituellement utilisés par la junte malienne. Selon l’analyste Wamaps_news, un drone turc de type Akinci aurait été utilisé pour frapper la pharmacie. Or, ce dernier est opéré uniquement par l’armée burkinabé et non par celle du Mali. Il demeure cependant impossible de vérifier de façon indépendante l’origine du drone.
Article de Guillaume Maurice
France 24















