L’Espagne en appelle à l’Afrique pour freiner l’immigration irrégulière

Depuis le début de l’année 22.304 personnes sont arrivées aux Canaries sur des embarcations de fortune, soit 126 pour cent de plus que l’an dernier sur la même période. STRINGER AFP
Le Premier ministre, Pedro Sanchez, se rend en Mauritanie, en Gambie et au Sénégal, pour promouvoir la coopération et les investissements. En dynamisant les économies locales, Madrid espère encourager les populations à renoncer au voyage vers l’Europe via les Canaries.
Le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a entamé mardi à Nouakchott une mini-tournée africaine, avec trois jours de visite en Mauritanie, en Gambie et au Sénégal. Il espère renforcer la coopération pour enrayer les circuits d’immigration irrégulière vers l’Europe.
Le choix de ces trois pays est tout sauf un hasard, car leurs plages sont le point de départ de la « route atlantique » de l’immigration africaine vers l’archipel espagnol des îles Canaries. Le Premier ministre socialiste compte, durant son voyage, mettre en valeur à la fois les efforts de la collaboration policière contre les réseaux mafieux, et les investissements dans les économies locales.
Immigration circulaire
Il veut aussi explorer la mise en place d’une «immigration circulaire», avec programmes de formation pour ouvrir la porte à l’accès légal vers l’Espagne via des contrats temporaires, dans l’agriculture notamment, avec obligation ensuite de retour en fin de contrat.
« La contribution des travailleurs migrants est fondamentale, pour notre économie comme pour le maintien de la Sécurité sociale. Pour l’Espagne, la migration est richesse, développement et prospérité », a déclaré Pedro Sanchez à son arrivée en Mauritanie mardi soir.
Cette visite a lieu au moment où l’Espagne est soumise à de fortes tensions migratoires. Avec, ces derniers jours, des flux d’arrivées de clandestins à Ceuta où les capacités d’accueil sont débordées. La petite ville enclave espagnole en Afrique du Nord a en effet vu débarquer ce début de semaine plus de 1.500 personnes, parmi lesquelles de nombreux mineurs, qui sont passés à la nage au large de la longue digue de séparation avec le Maroc, profitant de la brume pour tenter de se fondre parmi les vacanciers sur la plage du Tarajal, côté espagnol.
Réseaux d’accueil débordés
Mais c’est surtout dans les îles Canaries que la préoccupation est grandissante, même si l’archipel a connu d’autres épisodes difficiles . Les réseaux d’accueil sont débordés par l’arrivée des cayucos, les pirogues venues des côtes africaines. Entre le 1er janvier et le 15 août 2024, les autorités espagnoles ont recensé le débarquement de 240 embarcations qui transportaient 22.304 personnes, soit 126 % de plus que l’an dernier sur la même période.

Et c’est loin d’être fini, car la guerre au Mali et la fuite de réfugiés vers la Mauritanie ne font qu’amplifier le phénomène. Selon le président régional canarien, Fernando Clavijo, près de 150.000 personnes seraient prêtes à prendre la mer depuis les côtes mauritaniennes, pour mettre cap vers l’archipel espagnol.
Madrid multiplie les initiatives à la veille d’un automne qui s’annonce compliqué. Le gouvernement Sanchez cherche à la fois la coopération des gouvernements des trois pays africains afin de freiner les départs, et celle des Européens pour aider à l’accueil, en rappelant que, pour les migrants, la péninsule ibérique est surtout perçue comme une porte d’entrée vers le reste de l’Union européenne.
La France est, en toute logique, largement concernée par cette immigration francophone. D’autant qu’aux arrivants d’Afrique de l’Ouest ou du Maroc, sont en train de s’ajouter d’autres embarcations en provenance d’Algérie, qui mettent le cap sur les Baléares et sur le littoral d’Alicante. Près de 2.300 migrants sont ainsi arrivés aux Baléares depuis le début de l’année, et l’ONG Caminando fronteras estime que 1.500 personnes ont perdu la vie en mer sur la route algérienne.
Mécanisme d’obligation d’entraide
Parallèlement à ses efforts diplomatiques, Pedro Sanchez tente, depuis des mois, de revoir la législation sur l’immigration. Il compte y introduire notamment un mécanisme d’obligation d’entraide entre les régions sur la prise en charge des mineurs isolés, qui sont de plus en plus nombreux parmi les migrants. Mais la fragilité parlementaire de l’exécutif et le climat politique tendu ne facilitent pas les consensus.
Une première tentative de projet de loi a été rejetée par les députés avant l’été, combattue énergiquement par le Parti populaire (PP, droite), dans l’opposition, même si paradoxalement, certaines des régions qu’il dirige bénéficieraient au premier chef d’un mécanisme de répartition. Ce serait le cas à Ceuta et Melilla , en Andalousie, ou encore aux Canaries (où le PP participe au gouvernement régional aux côtés des nationalistes régionaux de Coalición Canaria).
Pression de l’extrême droite
Pour l’instant, le projet de loi est au point mort. Alors qu’en Espagne les questions migratoires avaient jusqu’ici à peu près échappé aux querelles partisanes, il est clair que la pression de Vox a changé la donne. La formation d’extrême droite dénonce l’inaction du gouvernement face à « l’invasion migratoire » et appelle à « stopper les migrants par la force ». Ce discours survolté a, peu ou prou, conduit la direction du PP à durcir ses positions, quitte à mettre en porte-à-faux ses dirigeants locaux qui appellent à unir les forces sur le terrain.
Cécile Thibaud (Correspondante à Madrid)















